samedi 25 juin 2011

MAURICE DENIS & L'OCCIDENT

Maurice Denis qui fut, à l'origine de L'OCCIDENT, avec Adrien Mithouard, et qui en conçut les ornementations, répondit à l'Enquête de Maurice Caillard et Charles Forot sur les Revues d'avant-garde. Voici ses quelques souvenirs.
MAURICE DENIS
Le mérite du citoyen a nui chez Mithouard à la gloire de l'artiste. Son dernier livre, La Majesté du Temps, paru après sa mort et qui est un chef-d’œuvre, a passé presque inaperçu. L'homme qui, en 1914, symbolisa, auprès de Gallieni, la fierté de Paris faisant tête à l'invasion allemande, était depuis longtemps connu de nous comme un maître et comme un chef. Ceux qui avec lui avaient fondé l'Occident avaient apprécié, en même temps que ses grandes qualités d'écrivain, sa vertu morale, la force, la générosité et l'ingéniosité de son esprit d'initiative.

On était en pleine affaire Dreyfus. Une partie de l'élite intellectuelle glissait à l'anarchie et méconnaissait la véritable figure de la France. Contre cet état d'esprit, Maurras et Barrès réagissaient chacun à sa façon et selon ses préférences doctrinales. Mithouard élargit la notion de la culture française jusqu'à la confondre avec la civilisation occidentale. A la base de sa conception de l'Occident, il y avait son amour de la France. L'Occident, c'était pour lui le dynamisme en architecture, le symbolisme en poésie, le spiritualisme en tout ; c'était la tradition classique, l'humanisme, le catholicisme, le goût, la mesure et la raison ; mais c'était aussi le bon sens, la bonhomie et la bonne humeur, toutes les qualités de finesse et de gaîté du paysan français, et cette sorte de bravoure qui, sous des dehors blagueurs et frondeurs, est prête aux plus grands sacrifices. Mithouard admettait en théorie que les limites de l'Occident pouvaient être reculées jusqu'à cette ligne idéale qui passe par le tombeau du Christ et qui partage le monde dans l'espace, comme la date de sa naissance partage la durée des siècles. Mais, à la vérité, pour lui, ces limites se confondaient avec les frontières naturelles de la France. Et si, à certains jours, il les a cherchées à Venise et à Grenade, c'est surtout dans l'Ile-de-France et dans l'Anjou qu'il avait plaisir à reconnaître les caractères de l'Occident.

Autour de cette doctrine d'"amitié française", une atmosphère se créait. Aux soirées de l'Occident on rencontrait à la fois Vielé-Griffin, Suarès et Alfred Jarry. Le lyrisme catholique de Claudel et de Jammes s'y accordait avec le régionalisme gothique du berrichon Jean Baffier et le romantisme classique de l'Ardéchois Vincent d'Indy. Mais la leçon de patriotisme, de discipline et d'énergie que donnait la pensée de Mithouard n'avait sa véritable efficacité que dans l'esprit des jeunes. Un Georges Ducrocq, un Eugène Marsan y trouvaient de sûres directions. La plupart, attirés par la doctrine d'Action Française qui donnait une forme concrète et une morale pratique aux velléités de l'Occident, formèrent les cadres de la Revue Critique. Le nationalisme intégral était bien en effet l'aboutissement logique de la doctrine de Mithouard, et les retouches que l'évolution des idées y a depuis apportées (par exemple, au point de vue de l'importance des siècles classiques dans le patrimoine français, un peu méconnue par lui au profit de notre moyen-âge), ces retouches n'entament pas la valeur d'enthousiasme de ses convictions. L'Occident de Mithouard, dans les années d'avant-guerre, aura redressé, rajeuni, embelli les autels de la tradition française.
(Belles-Lettres, 6e année, N°62-66, décembre 1924, p. 135-136)

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